PAGLOP
 

 

DEJA TARD
Je profitais hier de ma jeunesse
Pour m'amuser des choses de la vieillesse,
Pour, le matin, devant mes tartines, me dire
Que je savais encore sourire,
En écoutant d'une oreille
Ma femme, mon transistor, et leurs nouvelles :
Aujourd'hui, il pleuvra.
Madame Corentin ne passera pas :
Elle est à l'enterrement de son chat.

Mais quand des petits doigts
Boudinés et amusés
Dessinèrent sur moi
Des traits que je ne savais pas,
Je compris que mon petit-fils
Ne les inventait pas.
Ce matin-là, j'avais encore souri
En m'étirant au pied de mon lit
Mais voilà douze ans
Que madame Corentin ne passe plus.
Je compris aussi
Que cela faisait plusieurs fois douze ans
Que mes enfants étaient partis
Et ma jeunesse disparue.
Il est temps pour moi maintenant
De retourner au lit.

 

 

BONSOIR
Le visage du mort, ombrageux et obscur
Me montre ses blessures cette nuit encore.
Qui n'y trouverait pas les séquelles futures :
La peine qu'on endure à chaque nouveau pas ?
Le visage du mort me sourit davantage
A chaque nouvel âge qui me mène à mon sort.
Je me trouve le soir une nouvelle usure
Ou une autre rature du visage au miroir.
La même que je vois un court instant plus tard
Sur la peau blanche et noire du héraut des trépas.
Alors je me prépare à trouver dans la glace
Le visage du mort, un soir me faisant face :
Mon visage blanc et noir ; Mon sommeil sans futur ;
Ma dernière blessure, et, Maudite : Bonsoir !

 

p09-10