PAGLOP
 

 

DRAGON DE PAPIER
Toutes les nuits, je verse toutes mes larmes
Sur les dragons de papier, disparus, jeunesse
Consumée ; morts puissants sans posséder les armes
Du pouvoir sur-puissant demandé. Ah, jeunesse !
L'humain dont l'entreprise trop immense pour suffire
A ses moyens propres s'est vu offrir le pacte
Où il trouvera la force, et bientôt l'empire :
Le dessein que son orgueil lui laisse entrevoir.
Mais vient le mais, là est le faux, fait est le pacte.
Vient le sommet, là est sa force pour le gravir,
Bête assez sauvage et effrayante, de victoire,
A raser tout, carboniser les obstacles,
II ne voit que l'accomplissement et la gloire,
Et pas l'extrémité, traître faiblesse. Ah, jeunesse !
La queue alors enflammée, l'ancien humain souffle,
Le nouveau dragon attise le feu qui progresse.
Fait de papier, il voit son corps disparaître.
Cendres légères. Bientôt, les flammes lèchent les paupières
Qui sauvent ses yeux par leurs larmes désespérées.
Du tas gris fumant, reste sombre du destin
Révolu de l'humain, dragon présomptueux,
Se détachent deux perles humides, perdues, sans main
Pour se cacher l'échec, sans aile pour s'évader.
Uniques, dans la désolation imprévisible.
Sa vie restante, l'encore jeune verra son erreur
Et attendra chaque nuit pour me sentir verser
Des larmes sur les dragons de papier, des pleurs
Pour calmer la brûlure vive et incandescente

 

 

Que souffle l'haleine bouillante de l'amertume.
Son regret contre mes larmes, montée ou descente,
La mort est bien sa seule et unique fortune.
Je ferai seulement en sorte de retarder
L'échéance en me transformant à mon tour
En dragon de papier pour aller réchauffer
Ses ambitions fatales, entraînant dans l'erreur
Une autre âme, suffisamment triste pour verser
Assez de larmes. Assez pour préserver mes yeux
Trop secs des rouges flammes qui me rongent déjà.

 

DERNIERE PLUIE
Que faisait-il là, debout sous la lumière
Blafarde, timide et triste d'un lampadaire,
Que les gouttes traversent d'une vie éphémère
Scintillant un instant puis s'écrasant sur la pierre ?
Avait-il au moins remarqué la nuit tombée.
Sentait-il seulement les gouttes le toucher ?
Qui était-il ; qu'avait-il pu lui arriver
Pour qu'il reste planté là, au lieu d'être couché ?
Le pauvre hère souffrait donc d'un mal si profond
Que l'eau violente et l'air froid lui parurent si doux,
Le corps en nuances bleues, voûté sous la mousson.

Je lève les yeux et ma dernière larme se fond
Avec la pluie qui me la traîne sur la joue.
Ma peine diluée, je rentre à la maison.

 

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