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parents,
quand ils ont disparu en montagne il y a une dizaine d'années.
Je ne l'ai lu que plus tard, et il m'a profondément marqué.
Le style, l'histoire. Le rêve qu'il s'en dégage. Et l'incroyable
vérité sur la condition de l'humanité... Quand il
fut en âge de comprendre les mots, je l'ai lu chaque soir à
mon fils. Et je le recommençait autant qu'il me le demandait.
Jamais je n'ai su qui avait bercé mon enfant toutes ces années.
Et maintenant, je me rends compte que jamais je ne pourrai vous remercier.
Le garçon s'était déjà endormi. Si jeune,
on est loin de problèmes si compliqués. Le son des voix
adultes avait suffit à l'amener dans le sommeil.
Terry Trout repartit le lendemain. Le blizzard s'était apaisé.
Claudine tenta bien de le convaincre de se laisser ramener en ville, d'où
il aurait pu s'en aller autrement qu'à pieds. Mais les questions
étaient toujours là, dans la tête de l'écrivain.
Et ce qu'il croyait avoir trouvé de réponse ne fit que l'enfoncer
encore davantage dans le brouillard. Il lui fallait encore reprendre son
voyage. Il trouverait bientôt, il le sentait. Et il se rapprochait
de son père.
PARTIE V : L'ascension.
Les pas étaient depuis un bon moment devenus autant de prières
pour que le voyage se termine enfin. Et chaque respiration d'air glacial,
un appel lancé vers
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son
père, cet inconnu. Le moindre regard se changeait en une supplique
de celui qui ne trouve nulle part ce qu'il cherche. La montagne, comme
le calvaire -comme la vie- semblait ne pas vouloir finir ; la fin d'un
opéra auquel il aurait manqué l'éclat du dernier
coup de cymbale.
Il se dit que la nuit passait son temps à tomber , dans ce pays.
Mais dans la journée, le vent avait chassé le derniers nuages
du blizzard. Terry Trout allait voir les étoiles, cette nuit. Et
il serait vu par elles. Il lui faudrait bien s'arrêter quelque part.
S'endormir une autre fois. Peut-être une dernière. Son corps
avait de plus en plus de mal à reprendre vie, au matin. Toujours
plus long à se réchauffer. Sans la minuscule tente et les
quelques affaires que lui avait données Claudine, il aurait été
pris dans la glace depuis sa première nuit après son départ
du chalet. Mais ça ne suffisait plus.
Les pupilles agrippées à la scintillante voie lactée
gardaient Trout loin de sa situation. Là-bas, plus de neige, de
froid ou de vent. Plus de sommeil, de réveil. Que de la lumière,
du noir. De l'existence ou du néant. Ces considérations
avaient toujours permis à l'écrivain de simplifier les choses.
Tout apparaissait soudain plus clair, confronté à la simplicité
absolue de l'espace. Des petites taches luminescentes sur un grand drap
noir, pareilles à tous les petits problèmes rencontrés
dans une si longue vie.
Plongé dans une léthargie physique, l'esprit bouillant,
II n'entendit pas s'approcher de lui une forme humaine. Celle-ci se plaça
derrière lui, cachée par une souche, et émit d'une
voix fine et malicieuse : |
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