HISTOIRE COURTE
 

 

Et elle redescendit doucement, sa respiration asthmatique se faisant plus serrée. Trout se tint un instant au dessus de la fille, admettant qu'elle devait être une de ces jeunes dont la santé est trop fragile pour laisser son corps révéler son immense beauté. Peut-être s'épanouirait-elle avec un climat plus clément qu'à Gatecrick...
Il tourna la clef et pénétra dans la petite salle. Une bibliothèque... Juste deux étagères à hauteur d'homme, une de chaque côté, lourdes de livres, et deux cabriolets bordeaux sur un tapis, au centre. Mais l'odeur du papier ancien, le parfum des vieilles reliures suffit au bonheur de l'écrivain. Immédiatement, la même sensation que lors du coup de la boîte à gant dirigea l'homme vers l'étagère de gauche. Sans vraiment le décider, il se saisit d'un petit ouvrage dont seul le titre figu-
rait sur la couverture. Sans trace d'un auteur, ni d'un éditeur. Il était en bon état, mais avait visiblement déjà beaucoup été manipulé. Inquiet, le vieil homme s'assit avant de porter lentement le livre à ses yeux. Il lit le titre en silence et pâlit soudain. Tout aussi lentement, il l'ouvrit et entama la lecture de la première page. Et cette page, de même que toutes les suivantes, il la connaissait. Il l'avait écrite. C'était à nouveau l'une de ses propres œuvres, là, dans ses mains. Une autre que celle d'hier, mais une comme toutes les autres, qui n'a jamais été publiée. Jamais publiée et pourtant bien réelle. Terry Trout se ferma un instant au monde extérieur, pour mieux se dire qu'il était en train de rêver. Ses yeux ouverts à nouveau, il

 

était toujours assis dans la petite bibliothèque, tenant ce livre qui ne devait pas exister.
En bas, à la jeune fille qui lui demandait s'il voulait du chocolat ou du café, il ne répondit que la question qui lui brûlait les lèvres :

_Ce livre -il présenta l'ouvrage- d'où vient-il ?
_Voyons...Ah, ce livre ? Un jour, il y a longtemps, on a retrouvé ce bouquin dans une chambre. On a pensé qu'un client l'avait oublié ici, mais personne ne l'a jamais réclamé. Vous l'avez lu ?
_Un peu, oui, que je l'ai lu !

Ne comprenant pas le sous-entendu, elle enchaîne :

_I1 est formidable, hein ? Vous n'êtes pas le premier client à demander d'où vient ce livre. C'est de loin celui qui a le plus de succès. Enfin, pour le peu de gens que nous hébergeons...
_ C'est extraordinaire !
_ Oui, je trouve aussi.

Mais les deux ne parlaient pas de la même chose. Le vieil homme ne déjeuna pas, ce matin. Il ignora la fille, qui lui demandait s'il se sentait bien, et qui lui conseillait de manger. On va mieux quand on mange un peu ; il fait froid, ici.
L'attention était aimable, mais l'écrivain ne pouvait qu'aller s'isoler. Non, mieux : il lui fallait repartir. Comment avoir les idées clair au milieu des gens ? Il

 

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