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_En
fait, ce livre, je l'avais acheté parce que c'était le premier
qui m'était tombé sous la main. Moi, je voulais surtout
que ma mère me laisse tranquille, alors j'ai ramené le livre
chez moi, où je l'ai laissé au fond d'un placard. Il y est
resté jusqu'à ce qu'on déménage. Je l'ai retrouvé
en finissant de vider ma chambre.
Etrangement
clairs, les souvenirs continuent d'affluer vers l'esprit du locuteur.
_Je
l'avais complètement oublié. Je ne sais pour quelle raison,
je l'ai pris avec moi, et le soir suivant, je me mis à le lire.
Je ne me suis pas endormi avant de l'avoir fini.
_Vous ne vous souvenez pas de l'allure qu'il avait, à l'époque
?
_A peu près, oui. Il était déjà très
vieux ; la couverture avait déjà disparue. On était
pas très riches, vous savez, alors avec les sous de ma mère,
je ne pouvais acheter guère mieux. Excusez-moi, je vois que ma
réponse vous déçoit.
_C'est vrai, je ne vous le cache pas. J'aurais aimé comprendre
comment ce livre...Mon livre, a été publié. Aucun
de mes livran'a jamais été publié.
_Vous pensez qu'on vous l'aurait piqué ?
_Je ne sais pas. Je ne suis plus sûr de rien, à présent.
Personne,
sur le moment, n'aurait pu mesurer la portée de ces derniers mots.
Ils remettaient en question la déception de toute une vie ; l'exil
de l'écrivain ; son propre talent d'auteur. Le conducteur reprit
:
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et
fixa l'arrière un instant. Il avait bien besoin d'une nuit de sommeil
et de méditation sur son étrange expérience du jour.
D'ailleurs, le soleil avait depuis longtemps disparu, à l'horizon.
Ses yeux se posèrent sur la bâche en caoutchouc du pick-up,
ou plutôt sur ce qu'elle recouvrait.
Le vent avait tiré la protection qui laissait maintenant apparaître
un vrai bazar, entre caisses à outils et bobines de fils, entre
barres de toutes dimensions et pièces détachées d'engins
quelconques. Mais, étalée là dedans, une tunique
singulière se mêlait au reste et retint l'attention de l'artiste.
Cette toge, particulièrement la cagoule pointue qui l'accompagnait,
Terry Trout ne la connaissait que trop bien. Un costume d'organisation
secrète regroupant les plus extrêmes des extrémistes
du pays. Contre l'esprit, contre l'étranger, contre les idées
que Trout avait toujours défendu, dans ses écrits ou dans
ses discours. Ainsi donc, ce chauffeur si aimable, cet unique admirateur,
était-il l'un de ces gens aussi normaux le jour que costumés
la nuit ? Sans doute allait-il à une réunion à Gatecrick
ce soir même. Le rêve de Trout pris alors fin brutalement.
C'était trop beau d'avoir trouvé quelqu'un qui le connaisse
en tant qu'artiste. Il fallait que ce soit un con. Son malaise, le passager
le cacha pourtant, et attendit impatiemment que la voiture s'arrête,
ce qui était imminent. Le conducteur, lui, continuait de parler
calmement.
_Mais
au fait, quel est donc votre nom, que je sache enfin de quel esprit est
sorti une si belle histoire ?
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