HISTOIRE COURTE
 

 

Il baissa les yeux, et vit ses deux pieds ballants, quelques dizaines de centimètres au dessus du sol. Et quand il se focalisa sur ce même sol, il sentit un frisson remonter de ses reins vers sa nuque.
Il contemplait son propre corps, étendu là, dans le fossé, le tissu de son uniforme à présent plus imbibé de sang que de boue. Son sang. Et son fusil à ses côtés, touchant sa main ouverte au ciel. Son esprit refusa de comprendre. Il resta immobile un moment.

_Tu es mort, jeune mortel. Tu peux voir en moi celle qui t'emmènera au Vallahal. Même si ce n'est pas en combattant au sens propre que tu as péri. Ta guerre, c'est toute ta vie que tu as dû la mener. _Mais comment, je suis mort ? Mais...
_Tu t'es tiré deux fois dans le corps, rappelle-toi. C'est toi que tu es venu abattre dans ce trou.
_Mais non. Je ne veux pas mourir. Maintenant je sais le secret du bonheur ! C'est maintenant que j'ai la sagesse qu'il me faut partir ?
_Oui tu le connais. Et tous ceux qui le connaissent l'ont apprit à leur mort. Toute sa vie, l'homme acquiert de l'expérience. Cette expérience le fait progresser dans sa quête au bonheur. Et lors de sa dernière leçon, lorsque son âme est la plus forte, il s'éteint. Parce que la mort est le dernier apprentissage de la vie.
_Mais moi, je suis jeune ! J'ai souffert toute ma vie. Je n'ai même pas vraiment vécu, pour ainsi dire ! Et mes seuls instants heureux, je les ai vécu avec celle que j'aime. Je ne peux pas la laisser seule. Elle a besoin de moi !

 

_Elle continuera à apprendre, de son côté, mais elle te rejoindra, sois en sûr. Et vous serez ensemble pour ne plus jamais vous séparer. Et ces seuls instants heureux que tu as vécu avec elle, comme tu dis, sont les seuls que tu avais à vivre. Le reste n'aurait été que futilité. Des moments que tu aurais oubliés. Tu n'étais pas fais pour ce monde, jeune mortel.
_Jamais on ne m'a compris... Les hommes sont trop mauvais. Et un jour, les femmes les égaleront sur ce plan. Et il ne restera bien plus d'hommes ou de femmes, mais que des cons. Et puis il ne restera plus rien. Que de champs brûlés. Que des hangars détruits où les dernières traces d'humanité s'éteindront. Comme je m'éteins.
_Ce monde n'est pas le tien. Il ne l'a jamais été. Quitte-le sans regret. Pars-en sans te retourner.

La fée s'éteignit doucement, le laissant seul. Encore seul. Il regarda une dernière fois son corps encore adolescent, blême et vide de toute essence. Puis il s'éleva dans l'aurore carbonisée. Il fixa le soleil qui n'était pas encore aveuglant, à cette heure du matin. La pluie était loin , maintenant. Le monde et les hommes aussi. Le jeune mortel clôt ses yeux et s'endormit. Et jamais plus ne se réveilla.


FIN

 

p13-14