HISTOIRE COURTE
 

 

par les éclairs artificiels des canons, le squelette froid d'un hangar bombardé. Le jeune mortel prit la peine de réfléchir sur ce que l'homme faisait à la nature, en prenant quand même soin de ne pas ralentir. Sans doute pour justifier la culpabilité grandissante -comme sa distance au front- d'ainsi déserter. Voir combien l'homme est corrompu par sa propre morale donne une bonne raison de le fuir. Sautant de vieux cadavres organiques, des humains, des animaux, des plantes, il fut presque tenté de sourire face à l'ironie de défendre une terre que l'on ravage pour mieux sauver. Cette vallée avait dû être si belle, certains matins où le soleil avait décidé de jouer avec sa lumière. Cette nuit, les hommes sont passés. Cette nuit, le plus beau coin que cachent ces champs, c'est cet enchevêtrement de poutres en métal, plus guère couvertes pas les tôles. Voilà donc l'endroit chaleureux. Le refuge. Bah ! Pour l'instant, ça serait mieux que rien...
Le bonheur devait l'attendre derrière la porte en ferraille. Mais pas de walkyrie pour accueillir le soldat. Pas plus que du silence. Pas moins de peur. Toujours de la boue, des trous, des ruines, de la rouille, de la trouille, et un geste presque imperceptible au fond d'un des fossés. Le jeune mortel se surprit à avancer encore vers la forme mouvante. Et si c'était un ennemi ? Il n'hésiterait sans doute pas à tirer sur le déserteur. Pourtant, ses jambes continuent à le rapprocher de la petite tranchée. Pour vaincre sa peur, le vert fantassin entreprit de sauter carrément dans le creux et surprendre ainsi l'occupant. Il aurait alors bien le

 

temps de voir s'il avait affaire à un ami ou à un ennemi, et le cas échéant, tirer le premier.
Il bondit, retomba dans une grosse flaque et glissa sur le dos. Aussi vite que ses muscles le lui permirent, il fit volte face pour se retrouver de front avec l'intrus. Qui le regardait, et ne semblait être ni surpris, ni un ennemi.

_C'est toi, l'intrus, lui fit-il.

Davantage que le sens, le jeune mortel fut stupéfait par le son de la phrase. Cette voix... Il se trouvait devant lui même. Comme devant un miroir. Le double renchérit :

_C'est toi qui est venu me déranger. J'étais bien moi, ici, tout seul.
_Tu...Tu n'es pas...Moi ?

La question sortit avec peine, autant articulée qu'une mélodie d'outre tombe. La panique surgit en lui avant la réponse.

_Et qui veux-tu que je sois d'autre, couillon ?
_Non ! Je ne suis pas fou ! Ça n'est pas possible ! Qui êtes-vous ? Vous êtes un espion ! Qu'est-ce que vous me voulez ?
_Ce que je veux ? Mais je ne veux rien, moi. C'est toi, qui veut.

Mais loin de calmer le soldat, cette réponse énigmatique

 

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