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LE
REPOS DE LA PETITE MORTELLE :
Un soir, une fille attendant le repos sous sa couette, prise entre la
conscience et le sommeil, vit une de ses larmes se détacher de
sa joue, et s'envoler, illuminant la petite pièce, mais sans que
les murs n'apparaissent. Il y avait le lit, le chevet, le petit bureau,
mais au delà, la lumière se perdait dans la pénombre.
La petite goutte de tristesse dit alors :
_Comme toi, petite fille, j'aime les espaces. Les murs ne nous protègent
pas des songes, alors à quoi bon s'en entourer quand vient l'heure
de dormir ? Non, ne réponds pas. Pas à cette question là.
Me laisserais-tu parler avec toi quelques temps ?
La petite mortelle resta une seconde la bouche ouverte, puis se dit que
cette nuit allait peut-être enfin être différente des
autres.
_D'accord, madame la fée. Car vous êtes une fée, n'est-ce
pas ?
_Je suis une fée si tu le souhaite, enfant. Puis-je donc te poser
une question ?
Sentant qu'une hésitation pouvait contrarier la visiteuse nocturne,
et puisque sa curiosité n'eut pas supporté d'en rester là,
elle accepta.
_Quel est le plus grand moment dans la vie, pour toi ?
_Je pense que c'est quand j'arrive à partager. Partager les douleurs,
les bonheurs...Enfin...Non,
je pense que c'était ainsi, mais avant...
_Et maintenant ? Et pourquoi ce changement ?
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_Ce
changement, il est à moi. Je ne le partagerais pas. Même
avec vous, excusez-moi. Je ne le partagerai pas. Pas comme j'aurais fait
avant.
La fée eut un moment de silence. Fut-elle déçue de
la réponse ? Elle enchaîna avant que la petite mortelle ne
puisse tenter de déterminer ce que pouvait signifier ce blanc.
_Alors je te repose la question, et quand tu m'auras répondu, je
t'en poserai une nouvelle. Voici donc : quel est le plus grand moment
dans la vie, pour toi ?
_Je ne saurai vous répondre, pardon. Je ne connais pas de meilleur
moment. Je connais des bons moments. Je connais des mauvais moments. Mais
je ne saurai vous répondre.
La fée eu un nouvel arrêt, et cette fois, la petite mortelle
parvint à voir une lueur de tendresse et de compassion dans la
respiration de la dame flottant devant elle. Elle ne la laissa pas reposer
de question et prit soin de formuler une réponse qui put satisfaire
la fée :
_Mes instants favoris sont ceux pendant lesquels je ne cherche pas de
réponse à votre question. Mes instants préférés
sont ceux où je ne cherche pas à savoir ce genre de choses.
Savoir si un instant est meilleur qu'un autre. Savoir si un instant est
pire qu'un autre...
Au troisième silence de la fée, la petite mortelle sentit
un pincement au cœur, en se demandant si sa réponse avait
été assez sincère. On ne ment pas à une fée.
Pourquoi donc restait-elle ainsi quiète ? Cette fois, rien ne transparaissait
dans le vol, la respiration ou le visage de la merveilleuse femme. Enfin,
celle-ci reprit la parole, soutenant son ton rassurant.
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